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Posts Tagged ‘sécurité’

J’ai aperçu ce titre sur le site de S. Gamelin, et sa critique m’a aussitôt incitée à acheter l’ouvrage, fruit du recueil de témoignages d’Adeline Favre par ses nièces sur ses pratiques de sage-femme depuis la fin des années 20.

Ce livre est une merveille en matière de documentaire sur cette douloureuse période où les accouchements se faisaient à domicile bien sûr, mais sans le suivi médical des grossesses, la détection rapide des pathologies, les conditions de salubrité que nous avons la chance de connaître aujourd’hui. Aussi y trouve-t-on des récits d’un témoignage tout en nuances, et en force. Adeline Favre raconte ses débuts, l’apogée de son parcours puis l’arrivée progressive de la médecine moderne et le déplacement des femmes à l’hôpital pour accoucher. Et l’on comprend, au fil des pages, combien la condition des femmes était rude, terrible même : enceinte chaque année, car la méthode dite du « retrait » ou « coït interrompu » était formellement proscrite par l’église, ces femmes vivaient des grossesses épuisantes, des accouchements souvent difficiles et le décès des nouveaux-nés n’était pas rare. Les femmes n’en étaient pas toujours tristes, car c’était une bouche de moins à nourrir : rien à voir avec nos grossesses pour la plupart désirées, attendues, planifiées. Pas de congé maternité bien sûr, pas de suivi médical minimum ; la sage-femme était le seul référent médical disponible, parfois aidée du médecin quand c’était possible ; mais pour les accouchements, chose surprenante, c’était surtout le mari qui était mis à contribution, lavant le linge, lavant sa femme, et faisant des allers-retours entre la cave et la maison, pour tenir le coup…

Ces femmes accouchaient dans la douleur, évidemment, une douleur qu’on ne pouvait apaiser par rien sinon des massages et des paroles réconfortantes; de même pour les sutures souvent nécessaires : aucune anesthésie n’était prodiguée. Adeline Favre raconte même que souvent on ne suturait pas, ces femmes restaient donc avec des vagins béants ; pire encore, les maris n’attendaient en général pas que leur femme soit remise pour les solliciter à nouveau… et la crainte d’une nouvelle grossesse se profilait… Les superstitions aussi avaient cours, transmises par les mères et les belles-mères : on disait ainsi qu’il ne fallait jamais utiliser un drap propre pour accoucher, celui-c- favorisant les hémorragies ! On baptisait les nouveaux-nés aussitôt qu’ils étaient nés, de crainte qu’il ne meure rapidement, et tant qu’il n’était pas baptisé, la grand-mère ne dormait pas, veillant le petit. On ne lavait pas les draps de l’accouchement au grand jour mais de nuit, et dans la rivière, pas au lavoir ; la femme, lors des relevailles, devait aussitôt se rendre à l’église pour recevoir l’absolution pour le péché dont l’enfant était directement le témoignage. On se rend compte à quel point la présence de l’Église était forte, étouffante, aliénante : ce n’était pas encore le médecin, le tout-puissant, mais bien le curé.

Du côté de la sage-femme, on suit l’évolution de son parcours, de ses connaissances ; appelée à toute heure, elle se déplace à pied, en vélo, puis en voiture au fil des années. Il est émouvant de voir comment elle parle de ses femmes, ses enfants qu’elle a aidé à mettre au monde, et souvent sauvés. De lire son combat pour introduire dans les familles de nouvelles pratiques, l’hygiène en particulier : pour aider les bébés à sortir il était fréquent d’enduire le vagin de beurre fondu…Elle raconte bien des naissances, et parmi celles-ci de touchantes anecdotes, et d’autres pleines d’humour ; mais aussi d’horribles tragédies, que l’on peine à imaginer aujourd’hui et qui pourtant se sont produites il n’y a pas 100 ans.. on comprend qu’elle ait vu arriver avec bonheur la médicalisation des naissances, et de bien meilleures conditions à l’hôpital. Car l’accouchement à domicile tel qu’il se pratiquait, n’a aucune commune mesure bien évidemment avec celui dont on parle aujourd’hui, et pour rien au monde on ne voudrait retourner dans cette époque bien triste pour les femmes et ces familles pauvres. Et je crois d’ailleurs que cela nous a tellement marqué, est tellement ancré dans notre pensée même inconsciente, qu’il est bien naturel que d’instinct aujourd’hui nous rejetions d’emblée et sans même y réfléchir l’accouchement à domicile moderne : trop d’images ou de témoignages de nos grands-mères ou arrière-grands-mères nous hantent et nous soufflent le mot danger, la peur de la mort, de la mère et de son enfant.

Mais ce témoignage ne remet pas pour autant en cause la lutte légitime d’aujourd’hui pour les naissances libres et les naissances à domicile : Adeline Favre le constate déjà elle-même, à l’hôpital, ce n’est plus pareil, les femmes sont désormais des patientes, et elle se prend à regretter ce temps où elle faisait partie de la famille, pour un temps, cette proximité avec la femme et son entourage : « A domicile, du point de vue sentimental, c’était mieux. On faisait partie de la famille, tandis que plus tard, à l’hôpital,, les femmes étaient des numéros et nous, les vieilles sages-femmes, n’avions plus d’intimité avec les accouchées (…). Au début, quand les femmes venaient accoucher à l’hôpital elles pensaient que tout serait fini plus vite. Elles se sentaient beaucoup plus seules, parce qu’elles étaient entre quatre murs, elles ne pouvaient plus bouger et discuter avec leur famille. Elles avaient aussi le souci de ce qui se passait à la maison, de leurs enfants et de leur mari  qu’elles avaient dû laisser. Tous ces inconvénients perturbaient leur tranquillité; ce n’était pas toujours la meilleure solution. Lorsqu’on m’a demandé si je préférais accoucher à domicile ou à l’hôpital, j’ai dû répondre que pour ce qui est de la psychologie de la famille, c’était mieux à domicile. Mais pour la sécurité et la responsabilité que nous devions prendre, c’était mieux à l’hôpital ». Et on la comprend…

Déplorant la médicalisation toujours croissante des naissances, Adeline Favre plaide enfin pour un rééquilibre de la façon de pratiquer les accouchements, « que la technique, si merveilleuse quand elle est appliquée à bon escient, continue son évolution afin que dans l’avenir nos enfants naissent dans la joie, la sérénité et dans une juste sécurité ».

Un témoignage à lire et à méditer…

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