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Presque deux ans se sont écoulés depuis mon dernier article sur cette page ; deux années pendant lesquelles j’ai grandi, fortifiée par la merveilleuse naissance de ma fille, intimement transformée, plus forte et plus sereine, moins en colère sans doute. Ma parole semblait s’être tarie, et j’avais presque oublié pourquoi je ne pouvais plus regarder une émission sur la naissance à la télévision, ou ce qui me faisait m’éloigner, discrètement, d’une pièce où une femme racontait son dernier accouchement en maternité.

Mais la colère est revenue : non pas la mienne, d’abord, mais celle de toute une profession méconnue du grand public qui croit pourtant bien la connaitre, celle de ces femmes qu’on a tendance à considérer comme des « annexes du Gynécologue-obstétricien », celle des Sages-femmes.  Ici et là, un peu partout autour du 26 octobre se sont élevées des voix pour réclamer la reconnaissance de toute une profession, portées par un site militant en particulier, et un peu plus spécifiquement, en marge, pour défendre le droit à accoucher chez soi. Ce droit est aujourd’hui remis en cause par l’obligation des assurances, au coût exorbitant, imposée à celles qui ont choisi de donner leur chance à ces couples-là, ces couples dont j’ai fait partie. Cette colère n’est pas vaine, mais elle n’est pas encore entendue ; elle semble un murmure discret dans cette cohue de revendications dont chaque jour le pays fait l’objet. Elle est relayée, mais elle n’est pas écoutée ; on la soutient mais on ne la considère pas pour ce qu’elle est : la revendication d’une liberté légitime. Elle semble peu de chose, presque un détail – un grain de poussière qui concerne une minorité tâchant de ne plus être silencieuse.

Et c’est en reprenant contact avec cette réalité du silence, assourdissant autour de ces revendications qui partent du fond du coeur, que ma colère est revenue ; celle que je croyais assoupie, domptée par le temps et l’apaisement, celle qui m’anime et me submerge à chaque fois que je dialogue – ou tente de le faire – avec d’autres femmes (et d’autres hommes) qui n’ont jamais, de près ou de loin, considéré que ce mode de naissance en fût réellement un.  On me jette à la figure que je suis une privilégiée bobo qui pense à elle avant de penser à son enfant. Que le risque immense que je prends justifie une somme indécente pour couvrir les dégâts que je vais faire encourir à la société tout entière. La colère les saisit eux aussi dans ce déni d’une liberté qu’ils vomissent, qu’ils haïssent. Dans ce débat, l’argumentation et la raison n’ont plus cours ; elles pourront peut-être convaincre le législateur s’il parvient à faire abstraction du souffle haineux de l’opinion, elles n’auront jamais d’effet sur le quidam nourri aux Baby-booms, qui ne voit les naissances qu’à travers le filtre de la blouse verte et des femmes allongées sous perfusion.

Car on aura beau dire, la naissance est avant tout une question de croyances et de superstitions. C’est le contour de toutes les peurs, et il y a comme quelque chose de terriblement sacramentel dans ce moment incroyable et toujours inédit qui touche à l’irrationnel.  Cette rencontre que chacun fait de l’autre que soi dans tout son mystère et son terrible enjeu de vie, et de mort. Rien ne peut lutter contre cela : ni chiffre, ni dialogue ; il n’y a que l’héritage, l’éducation familiale ou le ravage intérieur qui parfois permettent de comprendre – parfois trop tard.

Je voudrais parler des ravages. Ces derniers jours, j’ai lu à nouveau des témoignages d’accouchements bouleversants. J’y lis la solitude, la détresse de femmes et de couples à qui l’on n’explique rien, qui attendent d’être soutenus, et qui rencontrent le silence, la douleur, l’effondrement intérieur. Il n’est pas besoin d’ailleurs d’un « danger » pour la mère ou l’enfant, il n’est pas toujours question d’urgence, mais il est toujours question de pouvoir, de mainmise, comme le rappelle judicieusement l’article de Marie accouche là à propos des touchers vaginaux.

Ce pouvoir sur la femme au moment où elle est dans le plus grand état possible de vulnérabilité, je l’ai connu, je l’ai subi, et je voudrais aujourd’hui en parler pour montrer une de ces violences faites aux femmes dans la plus grande impunité, celle des protocoles ; une violence ordinaire, qui n’émeut plus personne puisque lorsqu’on l’évoque les témoignages affluent pour dire « moi aussi, mais c’est nécessaire », pour dire « ce n’est rien : la mère et l’enfant se portent bien ». Mais qui peut en être certain ?

Lorsque je suis arrivée ce jour-là à la maternité, il était environ midi, et cela faisait plusieurs heures que je sentais que le travail avait démarré de manière active. Ce premier accouchement, je l’avais préparé, et pas seulement à l’aide du rayon maternité du supermarché du coin : je savais ce que je risquais en allant à l’hôpital, j’étais déterminée à lutter si besoin ; je recherchais avant tout du réconfort, de l’aide, une main un peu douce, des paroles apaisantes. Je n’avais pas envie de partir de chez moi, je n’avais pas envie d’aller ailleurs ; j’avais envie de chanter, de danser… mais je me suis pliée à la règle : quand on accouche, on va à l’hôpital. Dès mon arrivée, l’accueil fut assez glacial : je marchais sans problème, je ne me tordais pas dans d’atroces souffrances : on ne me croyait pas vraiment en travail. L’arrivée à la maternité avait eu cet étrange effet de couper mes contractions, de les atténuer, comme si elles étaient intimidées par ce changement de programme… j’étais pourtant déjà à 4 centimètres, et la sage-femme de garde ce jour-là fut bien obligée de convenir que je n’étais pas venue pour rien. Je fus conduite en salle de naissance. Je mentionnai alors mon souhait de ne pas avoir de perfusion : je crois que cette simple demande a déclenché les hostilités, et après un dialogue que je m’efforçai de maintenir courtois – j’étais là pour accoucher de mon premier enfant, pas pour porter un étendard – je dus m’incliner et accepter la voie veineuse dont je sentis la piqûre sans discontinuer, obtenant cependant qu’il n’y fût pas administré d’ocytocine. Le problème, voyez-vous, c’est que je parlais un langage que je n’étais pas censée connaître, et encore moins maîtriser. J’avais mis un pied sur un territoire auquel je n’aurais même pas dû avoir accès. J’avais commencé à prendre un peu de pouvoir à celle qui entendait le détenir de manière absolue, et non le partager.

J’avais obtenu de ne pas avoir d’ocytocine : mais il y avait une condition. Un centimètre par heure. L’épée de Damoclès, donnant-donnant. Et la sage-femme qui m’observait demeurait dubitative : il ne lui semblait pas que mon travail dût être très efficace ; j’étais trop calme, trop sûre de moi – pas assez en demande, et surtout pas de péridurale. Cette dernière non-demande l’avait fait sourire, de ce même sourire un peu narquois qui avait traversé le visage de l’anesthésiste lors de la consultation obligatoire du 3ème trimestre, ponctué ce jour-là d’un « je note votre refus de la péridurale, pour mes statistiques des femmes qui ont craqué une fois en salle ». La voie posée, tout allant bien, la sage-femme s’éclipsa. Rien ne requérait en effet sa présence : le bébé n’allait pas naître dans la minute, je ne me plaignais pas, je n’avais aucune pathologie. Je crois que cette solitude face à la douleur, dans laquelle je fus alors abandonnée, je ne l’avais encore jamais ressentie à aucun autre moment de ma vie. Je n’étais pourtant pas tout à fait seule ; mon compagnon était présent, mais désemparé, tout autant que moi face à cette expérience inédite de l’accouchement. Seule, désespérément seule ; chaque contraction – elles étaient heureusement relativement espacées – me plongeait dans la douleur sans le moindre recours ; je demeurai debout, incapable d’adopter une autre posture, accrochée à la table d’accouchement à laquelle j’étais liée par cette maudite perfusion et le monitoring que j’avais accepté sans même protester, lassée d’avance et prête à mettre mon énergie ailleurs. Toutes les heures, la sage-femme revenait. « Allongez-vous, je vais faire un TV ». Docile, je m’exécutai, m’allongeai sur la table dure et froide. Elle faisait son TV, faisait la moue. Repartait, sans rien dire. En sa présence, invariablement les contractions cessaient presque, s’estompaient. Je ne comprenais pas. Ça ne se passait pas comme dans les livres. Au bout de deux heures, et du 2ème TV, elle déclara qu’il lui fallait mettre désormais de l’ocytocine dans la perfusion. Je savais ce que cela signifiait : j’allais davantage souffrir, j’allais perdre le contrôle et devoir recourir à la péridurale. Je ne comprenais pas pourquoi le travail n’avançait pas : lorsque j’étais de nouveau seule elles étaient pourtant si puissantes ! Je lui demandai alors de me dire où en était mon col. 6 centimètres… donc un centimètre par heure. Furieuse, je refusai violemment l’ocytocine. Nouvelle lutte pour reprendre le pouvoir, le contrôle de ce que je voulais moi-même conduire ; mais elle venait d’échouer.

On parlait plus haut des TV. Comme ces contractions ne lui semblaient décidément pas bien fortes, la sage-femme m’imposa un TV pendant une contraction, pour voir comment le col réagissait. Je dus donc m’allonger, elle introduisit ses doigts, et nous patientâmes ainsi : moi allongée, sans contractions, et elle, ne me regardant jamais, les doigts loin dans mon vagin. J’en ressentis une certaine humiliation, et lorsque la contraction arriva, je ressentis une douleur extrêmement intense : un col en travail est en effet d’une sensibilité terrible, et la présence des doigts de la sage-femme relevait pour moi, à ce moment-là, d’une forme d’intrusion des plus violentes et douloureuses. Mais elle ne pouvait rien faire de plus : le col travaillait, s’ouvrait, le travail progressait, l’enfant allait on ne peut mieux, impossible de prendre le contrôle. Arrivée à 7 cm environ, la douleur franchit un pallier brutal. J’entrais sans le savoir dans la phase de désespérance, et mes gémissements se firent plus intenses, ma solitude et mon désespoir plus sensibles. La sage-femme rentra dans la pièce en riant : « ah, on vous entend un peu plus maintenant ! » et me proposa la péridurale. Je lui demandai alors pour combien de temps j’en avais encore. « Au moins 4 heures, et cela sera de pire en pire ». Comment ne pas céder ? et ce n’est pas pour moi que je cédai, mais parce que je n’arrivai plus à imposer le spectacle de ma détresse à mon compagnon. J’acceptai donc la fameuse… mais c’est alors que tout s’accéléra. D’abord, pas d’anesthésiste disponible : trop de césariennes en cours, me dit-on. Ensuite, soudainement, la poche des eaux se rompit, et je garde le souvenir intense et ému de ce liquide merveilleux qui éclaboussa le sol… j’avais envie de rire, mais je n’en eus pas l’occasion : la sage-femme rentra brutalement dans la pièce, m’ordonna de m’allonger malgré mes protestations, je me sentais si bien debout que j’aurais voulu rester ainsi ; mais à la maternité, on ne savait pas faire. « Et comment je travaille, moi ? » me répliqua-t-elle. Je m’allongeai donc, ce qui eut pour effet d’arrêter les contractions. « Ne me dites pas que je vais devoir vous mettre du syntho ! » me dit la sage-femme. Je perçus dans ces paroles la menace sourde : ou tu accouches, ou je m’en occupe. Mais je n’avais pas envie de pousser, tout s’était arrêté. j’ignorais alors l’existence de cette phase de latence, phase de repos avant la naissance du bébé. Et j’étais dans cette posture que je ne voulais pas : exposée, jambes écartées, à la merci de tous les regards, de tous les actes dont je n’étais plus actrice. Je sentis que l’on m’aspergeait le bassin, le sexe, le périnée, d’un liquide froid – de la bétadine. Je suppliai la sage-femme : qu’elle me laisse le temps, je ne voulais pas, je ne voulais pas ! d’épisiotomie. Le nom de cet acte même me faisait frémir depuis que j’avais appris son existence, son déroulement, ses séquelles fréquentes. Je voulais une naissance douce, et je voulais préserver mon corps dans ce qu’il avait de plus fragile. Tout ce que j’avais fait jusque-là, tous ces mois de préparation, de réflexion, de dialogue visaient à cela : assurer le bien-être de mon enfant (une naissance douce), et préserver mon corps.

« on verra ça ». La réponse de la sage-femme me glaça. Je comprenais qu’elle avait décidé de la faire, quoi qu’il arrive. Je la suppliai à nouveau, je protestai, je manifestai mon refus par tous les moyens, je ne voulais pas pousser, je ne voulais pas ! « Maintenant ça suffit ! me cria-t-elle. Ici, c’est moi le chef. » Je savais ce qu’elle allait faire. Mon compagnon le savait aussi, mais que pouvait-on faire ? comment se défendre d’un coup de ciseau quand la tête de votre bébé pousse sur votre vulve, votre périnée, que tout votre corps exposé sans défense est tendu vers cette naissance, ce moment incroyable, précieux, inédit, de cette première naissance ? Je poussai mon enfant hors de moi. Je sentis, et j’entendis le grand coup de ciseau qui trancha net mon périnée. Et je hurlai. Pas de douleur, bien que je sentisse la douleur ; je hurlai de colère, d’horreur, de désespoir, contre ce coup de ciseau qui venait de me marquer à vie, qui signait ma défaite quant à la protection de mon propre corps d’une violence inutile, cette mutilation qui allait changer le cours de ma vie.  Je hurlai de colère et de détresse, sans pouvoir m’arrêter, tant et si bien que je ne sentis pas mon enfant naître. Je n’en ai gardé aucun souvenir. Je ne me souviens de rien, hormis de mes pleurs, et de mon compagnon qui m’obligea à ouvrir les yeux et à regarder. Sur mon ventre, se trouvait un petit enfant tout neuf, tout mouillé, au doux regard. Mon fils venait de naître. Et je n’avais aucun souvenir de sa naissance.

Plus tard, dans la chambre de la maternité, une infirmière me fit lever. Elle me demanda si j’avais envie d’aller aux toilettes. Je venais d’être suturée, et j’avais peur ; uriner était bien le cadet de mes soucis. « Si vous n’y êtes pas allée d’ici une heure, je vous sonde de force ». L’infirmière quitta la chambre. Une toute jeune qui l’accompagnait resta un instant auprès de moi, et me murmura « essayez d’y aller, sinon elle va vraiment le faire… ».

Trois sage-femmes défilèrent au cours de mon séjour dans ma chambre. Toutes, sauf la dernière, s’extasièrent sur la beauté de ma cicatrice. C’est vrai qu’il y avait de quoi se réjouir. Quand j’osai prendre un miroir, quelques jours plus tard, je pleurai si fort que je me jurai de ne plus jamais revivre une telle chose.

Je mis longtemps à comprendre ce qui s’était joué, ce jour-là. Il a fallu en discuter tout au long de ces années, avec différents professionnels : médecins, sage-femmes, qui m’ont permis de comprendre les enjeux de pouvoir qui se cachent derrière les actes invasifs liés à la naissance. Ce premier accouchement, que je n’évoque jamais à voix haute sans que ma voix se serre, que j’ai raconté si souvent à d’autres femmes, a eu au moins le mérite de me faire avancer, réfléchir davantage encore, et à faire les choix qui s’imposaient pour ne plus jamais permettre que l’on porte atteinte à mon corps sans mon consentement. Lors de mes deux accouchements suivants, il n’a jamais été question de pouvoir, sinon, grâce aux formidables sage-femmes qui ont croisé mon chemin, auxquelles je voue une reconnaissance infinie, de la découverte de celui que nous possédons, nous les femmes, la plupart du temps : cette capacité de donner naissance par nous-mêmes, en nous-mêmes ; avec cette certitude que nous en sommes capables, cette conviction que ce pouvoir est à découvrir et peut-être avant tout à reconquérir.

A l’école de sage-femmes

L’autre jour, mal m’en a pris mais disons que j’aime bien de temps à autre jeter un oeil sur la façon dont les médias présentent les naissances au grand public, j’ai regardé l’émission Les Maternelles, dont je gage que toute femme enceinte connait peu ou prou le concept. Je regardais à vrai dire d’un oeil un peu endormi et sans grande attention, quand arrive le petit reportage du lundi, consacré à « l’école de sage-femmes ». Voilà un sujet qui m’intéresse au plus haut point, tant ici se joue tout le conditionnement qui conduiront ces élèves à se comporter de telle ou telle manière à l’égard des femmes qu’elles accompagneront, et qui formera leur regard sur la naissance. Je me souviens combien, effarée, j’avais lu un jour qu’une sage-femme devait accomplir quelque 80 épisiotomies au cours de sa formation…

Je regardai donc attentivement ce petit reportage qui réussit en l’espace de 3 minutes à me plonger dans la plus profonde des consternations. On y voyait un groupe de jeunes sage-femmes apprenant à faire un accouchement sur un mannequin, sous la houlette d’une sage-femme expérimentée, les guidant et les conseillant. On notera déjà que ledit mannequin ne consistait qu’en deux demi-cuisses écartelées et une vulve : pas de femme ici, juste un vagin. On me rétorquera que je suis tatillonne et que c’est pour des questions pratiques : je n’en doute pas, évidemment, mais la représentation même de la femme en train d’accoucher me semble ici déjà en jeu, comme si elle n’existait plus, comme si le haut de son corps avait disparu et qu’il ne s’agissait pour ainsi dire plus d’elle, mais d’un enjeu entre le bébé à sortir, et la sage-femme qui le réceptionne.

Avant même de commencer, la sage-femme qui anime le cours rappelle les bases : « on la met en position gynécologique, et qu’est-ce qu’on fait avant de la sonder ? une petite toilette, évidemment ! » (je cite de mémoire). Voilà en quelques mots résumé tout un protocole aberrant. La position gynécologique présentée comme allant de soi (je ne reviendrai pas sur ce débat ici), le sondage de la vessie systématique, et bien sûr la toilette. Car un sexe de femme, c’est sale, il faut le nettoyer, le désinfecter, comme pour rendre acceptable le passage que le bébé ne peut manquer d’emprunter, le pauvre… Il y a ici comme des relents de péché originel, l’idée que la femme est impure en sous-jacence, et quand on me jette à la figure que j’accouche sans péridurale pour des raisons judéo-chrétiennes, voilà qui me fait amèrement rire…

Puis vient le temps de la pratique sur mannequin. Une sage-femme pousse un bébé en plastique à travers le vagin et l’autre procède à l’accouchement. Un peu gênées peut-être par cette première expérience, ou la présence des caméras, certaines tentent de plaisanter, en mimant les efforts de la poussée, et l’une d’elle lance « mais ça fait mal ! » et l’autre de répliquer « ah ben oui ça fait mal un accouchement madame, fallait y penser avant ! faut assumer ! ». Le tout dans une ambiance bon enfant. On simule, c’est pas pour de vrai, on peut se permettre quelques plaisanteries. Sauf que. Ces paroles, on les retrouve plus tard en salle d’accouchement, parfois, ce mépris pour la femme qui enfante et qui grogne, râle, se plaint, a trop chaud, trop froid, soif, s’agite, etc.  Et j’aurais aimé voir que dans ce reportage on apprenait la douceur, on apprenait le respect, le respect des corps, la douceur des paroles et des gestes. Mais le monde n’est sans doute pas encore prêt pour ce genre de révolutions.

J’ai aperçu ce titre sur le site de S. Gamelin, et sa critique m’a aussitôt incitée à acheter l’ouvrage, fruit du recueil de témoignages d’Adeline Favre par ses nièces sur ses pratiques de sage-femme depuis la fin des années 20.

Ce livre est une merveille en matière de documentaire sur cette douloureuse période où les accouchements se faisaient à domicile bien sûr, mais sans le suivi médical des grossesses, la détection rapide des pathologies, les conditions de salubrité que nous avons la chance de connaître aujourd’hui. Aussi y trouve-t-on des récits d’un témoignage tout en nuances, et en force. Adeline Favre raconte ses débuts, l’apogée de son parcours puis l’arrivée progressive de la médecine moderne et le déplacement des femmes à l’hôpital pour accoucher. Et l’on comprend, au fil des pages, combien la condition des femmes était rude, terrible même : enceinte chaque année, car la méthode dite du « retrait » ou « coït interrompu » était formellement proscrite par l’église, ces femmes vivaient des grossesses épuisantes, des accouchements souvent difficiles et le décès des nouveaux-nés n’était pas rare. Les femmes n’en étaient pas toujours tristes, car c’était une bouche de moins à nourrir : rien à voir avec nos grossesses pour la plupart désirées, attendues, planifiées. Pas de congé maternité bien sûr, pas de suivi médical minimum ; la sage-femme était le seul référent médical disponible, parfois aidée du médecin quand c’était possible ; mais pour les accouchements, chose surprenante, c’était surtout le mari qui était mis à contribution, lavant le linge, lavant sa femme, et faisant des allers-retours entre la cave et la maison, pour tenir le coup…

Ces femmes accouchaient dans la douleur, évidemment, une douleur qu’on ne pouvait apaiser par rien sinon des massages et des paroles réconfortantes; de même pour les sutures souvent nécessaires : aucune anesthésie n’était prodiguée. Adeline Favre raconte même que souvent on ne suturait pas, ces femmes restaient donc avec des vagins béants ; pire encore, les maris n’attendaient en général pas que leur femme soit remise pour les solliciter à nouveau… et la crainte d’une nouvelle grossesse se profilait… Les superstitions aussi avaient cours, transmises par les mères et les belles-mères : on disait ainsi qu’il ne fallait jamais utiliser un drap propre pour accoucher, celui-c- favorisant les hémorragies ! On baptisait les nouveaux-nés aussitôt qu’ils étaient nés, de crainte qu’il ne meure rapidement, et tant qu’il n’était pas baptisé, la grand-mère ne dormait pas, veillant le petit. On ne lavait pas les draps de l’accouchement au grand jour mais de nuit, et dans la rivière, pas au lavoir ; la femme, lors des relevailles, devait aussitôt se rendre à l’église pour recevoir l’absolution pour le péché dont l’enfant était directement le témoignage. On se rend compte à quel point la présence de l’Église était forte, étouffante, aliénante : ce n’était pas encore le médecin, le tout-puissant, mais bien le curé.

Du côté de la sage-femme, on suit l’évolution de son parcours, de ses connaissances ; appelée à toute heure, elle se déplace à pied, en vélo, puis en voiture au fil des années. Il est émouvant de voir comment elle parle de ses femmes, ses enfants qu’elle a aidé à mettre au monde, et souvent sauvés. De lire son combat pour introduire dans les familles de nouvelles pratiques, l’hygiène en particulier : pour aider les bébés à sortir il était fréquent d’enduire le vagin de beurre fondu…Elle raconte bien des naissances, et parmi celles-ci de touchantes anecdotes, et d’autres pleines d’humour ; mais aussi d’horribles tragédies, que l’on peine à imaginer aujourd’hui et qui pourtant se sont produites il n’y a pas 100 ans.. on comprend qu’elle ait vu arriver avec bonheur la médicalisation des naissances, et de bien meilleures conditions à l’hôpital. Car l’accouchement à domicile tel qu’il se pratiquait, n’a aucune commune mesure bien évidemment avec celui dont on parle aujourd’hui, et pour rien au monde on ne voudrait retourner dans cette époque bien triste pour les femmes et ces familles pauvres. Et je crois d’ailleurs que cela nous a tellement marqué, est tellement ancré dans notre pensée même inconsciente, qu’il est bien naturel que d’instinct aujourd’hui nous rejetions d’emblée et sans même y réfléchir l’accouchement à domicile moderne : trop d’images ou de témoignages de nos grands-mères ou arrière-grands-mères nous hantent et nous soufflent le mot danger, la peur de la mort, de la mère et de son enfant.

Mais ce témoignage ne remet pas pour autant en cause la lutte légitime d’aujourd’hui pour les naissances libres et les naissances à domicile : Adeline Favre le constate déjà elle-même, à l’hôpital, ce n’est plus pareil, les femmes sont désormais des patientes, et elle se prend à regretter ce temps où elle faisait partie de la famille, pour un temps, cette proximité avec la femme et son entourage : « A domicile, du point de vue sentimental, c’était mieux. On faisait partie de la famille, tandis que plus tard, à l’hôpital,, les femmes étaient des numéros et nous, les vieilles sages-femmes, n’avions plus d’intimité avec les accouchées (…). Au début, quand les femmes venaient accoucher à l’hôpital elles pensaient que tout serait fini plus vite. Elles se sentaient beaucoup plus seules, parce qu’elles étaient entre quatre murs, elles ne pouvaient plus bouger et discuter avec leur famille. Elles avaient aussi le souci de ce qui se passait à la maison, de leurs enfants et de leur mari  qu’elles avaient dû laisser. Tous ces inconvénients perturbaient leur tranquillité; ce n’était pas toujours la meilleure solution. Lorsqu’on m’a demandé si je préférais accoucher à domicile ou à l’hôpital, j’ai dû répondre que pour ce qui est de la psychologie de la famille, c’était mieux à domicile. Mais pour la sécurité et la responsabilité que nous devions prendre, c’était mieux à l’hôpital ». Et on la comprend…

Déplorant la médicalisation toujours croissante des naissances, Adeline Favre plaide enfin pour un rééquilibre de la façon de pratiquer les accouchements, « que la technique, si merveilleuse quand elle est appliquée à bon escient, continue son évolution afin que dans l’avenir nos enfants naissent dans la joie, la sérénité et dans une juste sécurité ».

Un témoignage à lire et à méditer…

Je parcours les forums (bon, fora si vous voulez) consacrés à la grossesse et à la naissance depuis maintenant plusieurs années, depuis, pour être exacte, que j’ai découvert que j’étais enceinte de mon premier enfant. Et un constat me vient au bout de toutes ces années de discussions et lectures assidues autour de la question de la naissance, de l’accouchement : l’agressivité et la violence des échanges dès qu’il s’agit d’évoquer le souhait de faire « autrement », de se défier des pratiques en cours, de prendre du recul, d’aller voir ailleurs, autre chose. Et je peine à m’expliquer la virulence récurrente des paroles de ces femmes, qui derrière leur écran se moquent, dénigrent, font part de leur scepticisme ironique et s’auto-congratulent dès qu’elles ont réussi à reprendre le pouvoir sur l’espace de discussion, à avoir « cloué le bec » de ces inconséquentes (qui en réalité, lasses d’argumenter dans le vide, s’en sont allées voir ailleurs).

A quoi donc les renvoie ce désir d’autres femmes d’explorer une autre voie pour donner naissance ? à quoi de douloureux ou d’incompréhensible ? Je me posais ces questions quand je me suis rappelée de mes propres réactions au début de ma première grossesse. A l’époque, Arte diffusait chaque soir sur une semaine un épisode d’un reportage dans une maternité. L’image qui me vient à l’esprit à cette évocation est teintée de couleur verte, celle des blouses, des champs stériles, des surchaussures. Le plastique transparent des tubes, celui plus jaune des machines, des capteurs. Devant ces épisodes, j’ai pleuré d’émotion, j’ai vu ces bébés naître et ces femmes donner naissance dans cet univers ultra-médicalisé avec plaisir, et envie. Je me souviens d’un épisode en particulier, où une femme venant accoucher de son second enfant désirait cette fois le faire sans recourir à la péridurale. On la voyait, allongée, les jambes relevées en continu, gémir, mais toujours dire « non », encore et encore, aux sollicitations des sage-femmes pour qu’enfin elle la prenne. Elles ne comprenaient pas. Et moi non plus. Je la trouvais incongrue, celle-là, de vouloir faire sans cette merveille de technologie ; stupide, je la méprisais, j’avais envie de me moquer d’elle, de lui dire « tu souffres ? ben tu l’as voulu, assumes… » En me remémorant cette réaction, je ne reconnais pas vraiment de parenté entre la femme que j’étais et celle que je suis devenue. Et je comprends aussi mieux peut-être cette agressivité et cette violence : justement, parce qu’on ne comprend pas, il y a quelque chose qui nous échappe, qui nous semble complètement absurde. Pour tenir l’incompréhensible à distance, on le rabaisse, on l’exclut par le rire méchant. On se sent plus forte de ses propres choix, confortée dans la pensée que l’on a bien raison sans doute. On remet de la maîtrise sur ce qu’on ne maîtrise pas.

La naissance à venir, voilà quelque chose que l’on ne maitrise pas, sur quoi on n’a pas de prise. Quand ? comment ? quelle intensité de la douleur ? vais-je y survivre ? vais-je être différente ? mon bébé sera-t-il normal et en bonne santé ? Autant de questions qui semblent trouver des réponses rassurantes dans la remise en mains propres de son corps à d’autres que soi ; mais pas seulement le corps; on remet également sa capacité de décision, d’autonomie, à autrui. Les autres seront responsables de mon bien-être et de ma survie, ainsi que de celle de mon enfant. Ils sont là pour ça, ce sont les spécialistes formés pour cela. Et penser, lire, que d’autres volontairement refusent cette prise en charge, nous semble un affront, une offense faite à soi-même, à tout ce en quoi on croit, où qu’on a cru jusqu’ici. On veut bien être acteur, si d’autres ont écrit le scénario pour nous. On veut bien tout vivre et tout ressentir, à condition qu’on ne ressente rien. Et toi, qui veux accoucher seule, sans aide, qui refuse sans nécessité vitale les adjuvants miraculeux de la médecine, tu remets en cause de façon incompréhensible tout ce qui fonde mes espoirs intimes, tu jettes le doute là où je ne veux que des certitudes. Et je te hais pour cela.

La naissance d’E.

Voici le récit de la naissance de mon 3e enfant, naissance toute récente, mais dont le souvenir m’illumine toujours de bonheur. Naissance à la maison là encore avec un profil qui inclinait à la médicalisation préventive : « gros » bébé, et dépassement de terme… Mais grâce à un accompagnement plein de confiance de la part de la sage-femme (A.), et à une écoute assez bienveillante de la part de la maternité, la naissance a pu avoir lieu sereinement, et sans aucun problème… preuve s’il en est besoin que, lorsque tous les indicateurs sont bons (quantité de liquide, coeur du bébé) l’idéal est de laisser les choses se faire, l’esprit libre, et garder confiance, encore et toujours.

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Samedi 16 juillet. Terme + 3 jours…Au petit matin je me lève, et je constate avec surprise que je perds un peu de sang et ce qui doit être une partie du bouchon muqueux… mais je n’en suis pas sûre. J’ai quelques contractions non douloureuses, mais tout s’arrête rapidement. De la petite joie du matin je sombre dans une petite forme de désespoir… je dois aller à la maternité en début d’après-midi, et j’appréhende… mon compagnon me fait part de son inquiétude : il commence à trouver bizarre que l’accouchement ne se déclenche pas et craint un problème. Je le rassure comme je peux et je le supplie de me faire confiance… ce n’est vraiment pas le moment qu’il me lâche, j’ai trop besoin de son soutien.

Je me rends au rendez-vous, la rage au coeur ; mais comme au jour du terme, je suis très bien accueillie. On me laisse seule pour le monitoring, et le bébé bouge énormément… au bout de 10 minutes, le capteur perd le coeur. Je le prends et essaie de le retrouver en le promenant sur le bas-ventre… sur la gauche, je capte à nouveau quelque chose, mais la pulsation est beaucoup trop lente, ce doit être une artère utérine… je le déplace sur la droite et je finis par retrouver le coeur du bébé au bout de 5 bonnes minutes, nettement plus à droite que tout à l’heure. Quand la sage-femme revient, je l’en informe et lui explique pourquoi le tracé du monitoring est aussi chaotique. Elle prolonge le monitoring de 15 minutes, le coeur est parfait. Il y a aussi beaucoup de liquide encore (oui je m’en doutais vu les mouvements du bébé et son hoquet quotidien !). A ma demande, elle m’examine : le col est très souple, un peu raccourci, encore un peu tonique à la base, et ouvert à deux doigts. Mais très postérieur, ce qui explique que je n’arrive pas moi-même à l’atteindre. L’examen est un peu douloureux mais supportable… depuis le matin j’ai une douleur de règles en continu, et là ça ne fait que l’accentuer, bien que la sage-femme ait été très douce.
Elle me propose de revenir le lendemain, mais je ne veux pas : une échéance si courte me stresse, je veux pouvoir lâcher un peu de lest… mais elle doit en référer au médecin de garde. Elle part, et revient en m’expliquant que le tracé du monitoring peut potentiellement montrer une décélération du coeur… le fameux moment où j’ai capté sans doute une artère utérine. Elle sait bien, et je le lui redis, que ce n’est pas le coeur du bébé, mais personne n’était là pour le constater et seul le monito fait foi… pourtant le médecin ne s’est pas déplacé : je comprends donc que tout le monde sait parfaitement que tout va bien, mais que le médico-légal prend désormais toute son importance puisque je sors du protocole. Je signe donc une décharge, dans laquelle je suis obligée de préciser que j’ai conscience « des risques encourus pour moi-même et mon bébé », et je renonce donc à la proposition qu’on me fait : hospitalisation immédiate pour surveillance en continu du coeur, et déclenchement le lendemain. Ce sont des formalités, mais je prends conscience aussi de la pression que cela peut mettre sur des femmes moins accompagnées que je ne le suis, ou moins au fait des choses : avec de tels mots, « risques », « décélération », qui ne serait pas un peu alarmé ?

Je reprends un rendez-vous pour un nouveau monitoring le lundi 18, et discute avec la sage-femme des possibilités qui s’offrent à moi si rien ne s’est passé d’ici-là : j’évoque un décollement de membranes, elle m’explique qu’avec un col aussi favorable que le mien le déclenchement se limiterait sans doute à la rupture de la poche, sans forcément de perfusion de syntho, sans forcément une médicalisation accrue, que je pourrais être mobile, utiliser le ballon, la baignoire… en discuter me rassure, mais au fond de moi je frémis : un travail sur poche rompue, c’est ce que j’ai vécu pour mon second, et à la maison déjà ça avait été tellement dur… qu’est-ce que cela sera en maternité ? Et je me vois déjà dans ces salles sans âme, perfusée, monitorée…sans possibilité de boire, de manger, sans mon univers, seule… je ne veux pas, ça me rend malade d’avance…
Je rentre à pied chez moi, et sur le chemin j’avise ma sage-femme qui me dit que j’ai bien fait de refuser le rendez-vous du lendemain, que tout se met en place, que ça va venir… sur le trajet, j’ai toujours cette douleur sourde au bas-ventre. Je rentre, il doit être environ 16h30.

Je me repose un peu, et puis saisie d’un regain d’énergie je décide de préparer des crêpes et propose à mes aînés de dîner devant la télévision, petite joie à leur procurer pour me faire pardonner de les avoir laissés une bonne partie de l’après-midi. Tandis que je m’active, j’ai toujours cette douleur dans le bas-ventre lancinante, et parfois je suis obligée de m’interrompre pour souffler, m’étirer un peu. Je continue à cuisiner, discuter, sans plus y prêter attention. Au bout d’un moment cependant, je m’aperçois que la douleur n’est plus continue, en réalité cela fait même un certain temps qu’elle va et vient… je suis perplexe. Je prends mon téléphone sur lequel j’ai téléchargé voilà plusieurs semaines un chronomètre spécial contractions, et je commence à l’activer chaque fois que la douleur revient. Incrédule, je contemple le résultat : toutes les 7-8 minutes… cela fait peut-être deux heures que c’est ainsi, et je viens seulement de me rendre compte que le travail a sans doute commencé ! Mais je ne dis rien pour le moment, je finis ma préparation, et puis mon compagnon me voyant me pencher et souffler s’inquiète… je l’avise discrètement que peut-être (mais je n’en suis pas sûre !) le travail a commencé, en tout cas quelque chose se passe c’est sûr. Nous dînons, mon compagnon va lire une histoire aux enfants, ils s’endorment… pendant ce temps, je téléphone à ma sage-femme pour lui faire part de mes constatations, mais je ne sais pas encore si c’est le travail ou un pré-travail. Les contractions sont plus ou moins régulières, un peu douloureuses mais largement supportables… je ne sais pas du tout si quelque chose est vraiment lancé ou non.

Je regarde un peu la télévision, et les choses se calment… pendant une demi-heure rien ne se produit, les contractions semblent s’arrêter. Par sms j’en avise la sage-femme, elle me rappelle, je lui explique que ça se calme, c’est sans doute un pré-travail… il est 23h. Au cas où, mais sans y croire, nous préparons le canapé-lit du salon avec une bâche et un drap, des coussins. Je vais me coucher et je m’endors.

A une heure et demie du matin, une contraction me réveille. C’est toujours la même, elle me lance suffisamment pour me gêner, mais pas assez pour que je me sente en travail. Je grogne intérieurement : je suis fatiguée, et ces fichues contractions m’empêchent de dormir. Je me lève, attrape mon chrono en bougonnant, et vais sur le lit préparé dans le salon. Je me cale dans les coussins, sur le côté, mais les contractions me font plus mal dans cette position, alors je me mets à 4 pattes, le ballon devant moi, et je me berce. Je peste encore intérieurement : je n’ai pas envie d’accoucher maintenant, j’ai envie de dormir, que ça s’arrête et que ça reprenne plus tard. Pourtant cela fait plusieurs jours que je les désire, ces contractions douloureuses, mais là je suis saisie de découragement…A chaque contraction je réactive mon téléphone et enregistre sans trop regarder la fréquence. Lorsqu’enfin je regarde vraiment je suis stupéfaite : elles reviennent toutes les deux ou trois minutes… ça me paraît vraiment très rapproché, et pourtant je n’ai pas si mal que ça… je ne sais pas quoi faire. Il est presque 3 heures du matin, j’ai des scrupules à réveiller la sage-femme si je ne suis pas en travail… car je ne reconnais pas cette douleur qui n’est pas en accord avec mes souvenirs : elle n’est pas assez forte, pas assez intense, elle est supportable ! Je décide d’attendre encore quelques contractions, mais quand je constate que toutes les 2 à 5 minutes elles reviennent, je me résous à réveiller A. Je lui explique que les contractions sont rapprochées mais que je les supporte, que ma seule crainte est que le travail parte d’un coup et qu’elle ne puisse venir… il lui faut une bonne heure de route, et en une heure tant de choses peuvent arriver… je la sens hésitante, elle non plus n’est pas persuadée que le travail soit vraiment actif, car je suis capable de lui parler alors que les contractions s’enchainent (elle m’expliquera ensuite qu’elle en a été vraiment stupéfaite !). C’est la phrase « je préfère quand même que tu viennes » qui la décide : elle choisit de me faire confiance, me dit qu’elle rassemble ses affaires et part. Je lui dis que je vais prendre un bain et que je passe le téléphone à mon compagnon, au cas où… il est environ 3h30. J’avise mon compagnon, je lui laisse mon téléphone et fais couler un bain brûlant. Je vais aussi plusieurs fois aux toilettes car je n’ai pas envie de devoir ressortir du bain pour ça… sur les toilettes, les contractions me font mal, je ne tiens plus, il me faut rentrer dans l’eau.

Je me mets à genoux dans la baignoire, tire le rideau pour atténuer la luminosité. Je saisis la douchette, et à chaque contraction, j’ouvre le jet brûlant et le dirige sur mon bas-ventre. Je ne suis toujours pas sûre d’être en travail ! En effet, la douleur ne dure jamais plus de 10-15 secondes, et de si « petites » contractions ne me semblent pas correspondre à des contractions de travail (dans mon souvenir, au moins 45 secondes d’habitude ? Et une si intense douleur qui balaie tout sur son passage…). Et puis avec l’eau, qu’elles passent bien ! Certes je ressens la douleur mais l’eau a un effet magique, je dirai plus tard « une vraie péridurale ». A un moment, j’essaie de m’allonger sur le dos, et là j’assiste à un phénomène étrange : je vois mon ventre se serrer, se contracter… mais je ne ressens pas de douleur ! Puis la douleur arrive, j’envoie l’eau brûlante, et la douleur repart… je n’ai eu mal que 10 secondes. Je comprendrai ensuite en évoquant ce phénomène avec A. que grâce à ce bain, je ne sens que le sommet de la contraction, et non la contraction entière. Quel bonheur ! Je réalise que je passe bien plus de temps à ne pas avoir mal, qu’à avoir mal, et je savoure… réellement, je savoure ce travail, je me sens magnifiquement heureuse. Les contractions deviennent sans doute plus douloureuses, car je suis obligée désormais de les accompagner en vocalisant dans les graves. Mais je ne crie pas, je me mets à chanter avec les contractions, et à me bercer dans l’eau chaude, toujours à genoux, le bas-ventre dans l’eau, la douche envoyant une eau toujours plus chaude au sommet de la contraction. Je me murmure en continu, en chantonnant, « le bébé arrive, le bébé arrive », je reste concentrée sur cette pensée, j’encourage ma fille mentalement, je suis son cheminement en pensée… je pense désormais que je suis en travail (il m’aura fallu un temps infini pour en prendre conscience), mais je suis incapable de savoir « où j’en suis ». Mon compagnon est venu m’avertir que la sage-femme avait envoyé par sms l’heure approximative de son arrivée : 4h35. Et en partant il me dit « au fait, je chronomètre toujours ! ». Il est dans la chambre d’à côté et m’entend, déclenchant le chrono à chaque fois… (ça va, pas trop dur pour lui cet accouchement !). Je lui demande : « et alors ? » il me répond, elles reviennent toutes les minutes. Oh oh… toutes les minutes ? La sage-femme a intérêt à ne pas traîner… je commence à m’inquiéter qu’elle n’arrive pas, qu’elle arrive trop tard… mais je n’ai pas le temps de m’attarder sur cette pensée, les contractions s’enchaînent toujours et je ne peux pas faire autrement que de les accompagner… un mouvement venu du fond des âges se joue en moi, et j’y participe avec une joie intense. Une sensation étrange soudain se fait jour : j’ai faim. Voilà une nouveauté ! Ça ne m’était encore jamais arrivé en travail. Mon compagnon m’apporte un yaourt à ma demande, cela me fait un bien fou… puis de l’eau fraiche, je bois, je trempe mon visage dans la fraicheur… mais quel bonheur !

Soudain, une contraction plus forte fait remonter une foule de petites bulles et de vaguelettes d’entre mes jambes… je viens de rompre la poche des eaux. Je contemple le mélange d’eau et de liquide amniotique, fascinée…je vois des fragments de vernix qui flottent, je les regarde dans le silence, tranquillement…Mon compagnon a entendu que le son de ma voix avait changé sur cette contraction, et me demande si ça va… je lui dis je viens de rompre… il me répond « je m’en doutais, à t’entendre ». Je lui demande l’heure, il est 4h20…. je le supplie de rappeler la sage-femme pour lui dire de se dépêcher… je redoute la contraction suivante car je pense que je vais sentir l’engagement du bébé… et ça ne rate pas, ça commence à pousser, pousser, c’est tellement bon, mais en même temps ça va trop vite, beaucoup trop vite !! j’entends mon compagnon au téléphone, super zen, expliquant très calmement à A. que j’ai rompu et que je sens pousser… puis il revient, il me dit qu’elle vient d’entrer dans la ville, qu’elle est à 5 minutes. 5 minutes ? Je ne pense pas tenir autant… je lui attrape le bras à la contraction suivante, je sens le bébé qui descend, descend ! Je me dis que jamais elle ne va arriver, et je ne sais pas du tout comment je vais pouvoir gérer la sortie du bébé… je ne peux pas bouger, je suis à genoux, incapable de faire autre chose que d’accompagner cette naissance…. A. rappelle, elle vient de se garer, mon compagnon me dit qu’il doit me laisser pour lui ouvrir la porte, mais je ne veux pas ! J’ai tellement peur que le bébé naisse là, maintenant ! Je laisse passer encore une contraction, et lui dit d’y aller, vite, vite, et de revenir très vite ! J’ai l’impression qu’il part pendant un temps infini, je sais que chaque seconde me rapproche de la contraction suivante où le bébé va arriver, vraiment. Je les entends parler tandis que la contraction monte, j’ai l’impression qu’ils prennent tout leur temps, qu’ils discutent tranquillement ! Je commence à grogner, vocaliser comme un animal, (je pense à une lionne) et j’entends A. entrer dans la salle de bain, je sens sa main fraîche sur la mienne et je pense : ça y est, je peux tout lâcher… et ça pousse tellement fort, c’est tellement bon, tellement intense, je sens la tête du bébé qui pousse sur le périnée… A. m’invite à toucher, je refuse, j’ai peur… puis je le fais car je me dis que je dois contrôler la sortie de la tête. Cette douce sensation sous mes doigts.. peau humide, plissée, ronde et dure à la fois… la tête de mon bébé qui est là, tout près… je pousse doucement, et ça brûle,c ‘est tellement fort… Je murmure, oh làlà ça va tout déchirer, tout emporter, mais ça pousse plus fort que moi et hop la tête sort, si rapidement ! La contraction suivante m’emporte à nouveau et je sens tout le corps chaud du bébé qui glisse de mon corps d’un seul coup dans un bruit mou et tout le liquide qui l’accompagne, j’ai littéralement l’impression de me vider, qu’un flot de matière et de poids me quitte, définitivement, je pense « ça y est, c’est fini, c’est fini » et j’entends ma fille qui pousse un miaulement… je me retourne et A. me la tend, elle est toute grise, toute ronde, avec un regard tellement intense ! Je l’attrape et je la serre fort contre moi, un immense bonheur m’envahit… ma fille est née et elle est magnifique. Nous la contemplons quelques secondes, et soudain un bruit de porte : mon deuxième vient de se réveiller, son père le prend dans ses bras et l’amène : je lui présente sa petite soeur tout juste là et il fait un sourire merveilleux, un pur sourire de bonheur. Puis il retourne se coucher.
Personne n’a songé à regarder l’heure, mais A. est arrivée vers 4h35 et ma fille est née à peine quelques minutes après son arrivée. Il s’en est fallu de peu….

Je la garde contre moi en peau à peau pendant quelques minutes, nous la contemplons, je ne peux pas m’en lasser, elle est toute éveillée, toute calme, elle nous regarde tranquillement… Enfin je me lève et, le bébé dans les bras toujours rattaché au placenta, je parviens enfin à ce lit que nous avions préparé et où je resterai jusqu’au matin. Elle tète tout de suite, on se câline… le cordon bat encore, et il battra très longtemps ! A ma demande, on finit par le clamper malgré tout car je souhaite me délivrer, je veux en finir. Je coupe le cordon pour la première, et la dernière fois. La délivrance se fait rapidement et sans encombre. Tout est en ordre…
Nous discuterons longuement, et plaisanterons souvent de cet accouchement express avec A., de ce merveilleux accouchement…
Au matin, mes garçons se réveillent. D’abord le petit, qui se souvient très bien d’avoir vu sa soeur et arrive avec son immense sourire de bonheur qui illumine tout son petit visage, se coucher à côté de nous… puis l’aîné, stupéfait, disant « ah mais je ne savais pas que le bébé devait arriver aujourd’hui ! » Nous non plus, à vrai dire !
Désormais, nous sommes au complet.
Et je garderai à jamais ce souvenir merveilleux de la naissance d’ E. ce 17 juillet 2011, à 4h39 (?), 4,650 kilos…

Il est de ces livres que l’on ouvre par curiosité, sans trop savoir ce que l’on va y trouver, et qui vous fouettent en plein visage, vous embarquent et ne vous lâchent plus : ainsi me viennent les premiers mots pour décrire l’impression de lecture que m’a laissé Le choeur des femmes, roman de Martin Winckler, que certains connaissent peut-être déjà par le biais de son célèbre site internet. Je savais que j’allais y entendre parler gynécologie, émotions féminines, et tous ces éléments peuvent d’emblée paraître rébarbatifs. J’en entends déjà soupirer… des histoires de bonnes femmes, en somme.

Ce lecteur dubitatif ressemble curieusement au narrateur principal du récit : le Dr Jean Atwood, interne en 5eme année, major de sa promotion, brillant élément courtisé par les plus hautes instances, se destinant à la chirurgie gynécologique, se voit à son grand désespoir obligé de passer 6 mois dans un service étrange, l’unité 77, dirigée par le Dr Karma, qui s’occupe des femmes, de leur contraception, IVG, soucis divers et variés… étrange service non par sa fonction, mais par la façon dont se déroulent les consultations. Ici, on ne reçoit pas les femmes pour les ausculter, les examiner, mais avant tout pour les entendre… et Atwood retient avec peine son mépris, son ennui profond, son agacement envers ces femmes qui ne cessent de se plaindre de leur pilule, de leurs soucis… Mais petit à petit, au contact de ce médecin d’un genre nouveau – un soignant – s’opère une lente, douce transformation : du narrateur, mais aussi du lecteur, happé par le tourbillon de ces voix, de ce choeur des femmes qui enseigne à celui qui l’entend l’art de l’écouter. C’est une maturation qui s’opère sans que l’on s’en rende vraiment compte, tant on est pris dans cette lecture incroyable, cette écriture qui parvient à rendre le quotidien le plus banal, le plus ordinaire, proprement stupéfiant, et à en faire la matière même d’un roman dont on ne ressort pas indemne.

On pourrait croire que ce récit n’est tissé que de micro-récits successifs, où résonnent les unes après les autres les voix des diverses femmes et personnages du récit. Mais il n’en est rien. Martin Winckler est sans doute un très bon médecin, mais c’est également un excellent romancier, un écrivain comme je n’en avais pas rencontré depuis longtemps. A tel point que l’on ne sait plus vraiment, lequel du soignant ou de l’écrivain, mérite le plus grand respect. Ce roman questionne chacun d’entre nous sur ses croyances, ses certitudes inébranlables, son rapport à soi-même, au corps et à ceux à qui nous permettons d’y toucher. Chaque chapitre nous mène un peu plus loin sur cette réflexion, sans que jamais le plaisir de la lecture ne cède devant un discours moralisateur ou rébarbatif : on ne peut en ressortir que grandi, ému, bouleversé, tant il touche juste, tant il bouscule, remet en question.

Un roman qui prend au creux du ventre et touche au coeur. Le coeur des femmes.

La naissance de W.

Voici le récit de la naissance de mon second enfant, né à la maison en avril 2007. Exemple d’une naissance qui présente a priori des aspects inclinant vers la pathologie, une prise en charge « musclée » de l’accouchement : gros bébé, gros périmètre cranien, poche rompue sans démarrage du travail avant une dizaine d’heures, liquide amniotique teinté… et pourtant, grâce à un accompagnement confiant et vigilant, une surveillance attentive et bienveillante, une naissance sans aucune complication.

Vendredi 20 avril….silence, c’est le petit matin….6H00. Je suis allongée dans mon lit, réveillée mais les yeux clos, j’entends mon fils respirer dans la chambre d’à côté, et mon compagnon qui se prépare pour aller travailler. Je sens le bébé qui bouge un peu, une légère tension dans le bas-ventre… je souris et je lui parle à l’intérieur, tout au fond….tu peux naître aujourd’hui si tu le veux, les conditions sont idéales…exactement au même terme que ton frère, voilà qui serait amusant…c’est une journée un peu particulière pour moi, je suis à 40SA+3 et pour mon aîné le travail avait lentement démarré vers 4h00 à cette date-là. Je me remémore ce moment et je sens un léger ‘ploc’ quelque part dans mon ventre. Le bébé bouge doucement. J’entends mon compagnon qui rassemble ses dernières affaires, le bruit des clés…et tout à coup un liquide chaud, chaud, doux coule entre mes jambes… je me lève d’un bond, ça coule, coule tandis que je me précipite vers l’entrée, rattrape mon compagnon en lui disant, pas trop fort pour ne pas réveiller mon fils « pars pas, pars pas, je perds les eaux ! ». Il sourit, et tandis qu’il nettoie un peu le couloir et le sol de la chambre, j’appelle C. J’ai peur de la trouver en plein accouchement et qu’elle ne puisse venir mais non, elle est disponible. Elle me demande si le liquide est clair, ah oui tiens j’avais oublié ce détail mais il me semble que oui. Elle me dit qu’elle passera vers 9h30. Pour l’instant, je n’ai pas de contractions, juste quelques tensions un peu erratiques, vraiment rien de sérieux…

Je mange un peu mais je n’ai pas très faim, un peu nerveuse mais assez sereine. Je surfe un peu, regarde quelques récits de naissances qui ont commencé par la perte des eaux…bon c’est très variable, les contractions peuvent démarrer dans les deux heures comme démarrer beaucoup plus tard… je vais aux toilettes et là, première inquiétude, le liquide est un peu vert. Léger, mais vert… je tente de rester sereine, ce n’est peut-être que le bouchon muqueux. Je retourne sur internet, cherche des descriptions de bouchon muqueux….hum ça n’y ressemble pas… je pense que le liquide est teinté. Ca m’inquiète…mon bébé serait-il en souffrance ? je m’interdis formellement de chercher les conséquences d’un liquide teinté, j’éteins tout et je m’occupe de mon fils qui vient de se lever. Toujours zéro contractions. Mon fils a de la fièvre, c’est le cas depuis la veille et comme à chaque fois qu’il est malade, je suis assez angoissée… pffff les conditions sont moyennes. J’attends avec impatience l’arrivée de C., je veux savoir si l’AAD est toujours envisageable ou si je dois dès maintenant me préparer à l’option maternité.
Elle arrive vers 10h00, je lui dis mes craintes au sujet du liquide et elle me confirme qu’il est teinté, mais peu. Et me dit ‘mais tu sais, deux de mes enfants sont nés avec un liquide teinté, ça ne pose pas de problème !’ Ouf, premier soulagement. Elle fait un monito d’une vingtaine de minutes… parfait. Elle me conseille de me reposer un peu, et nous convenons que je la rappelle dès que les choses semblent se mettre en route. L’aad est toujours d’actualité. Je suis à 2 cm.

Mon compagnon s’occupe de notre fils, il l’emmène se promener un petit peu et je reste seule. Je déambule dans l’appartement, je vais dans notre chambre, celle de notre enfant… parfois, une petite contraction se déclenche et je relâche tout afin de la laisser agir le plus possible sur le col. Mais j’ai le sentiment que rien ne se met vraiment en route… je décide d’aller m’allonger un peu, de lire… et là je ne ressens plus rien, plus de contractions…je suis fatiguée, les jours qui ont précédé ont été un peu éprouvants, mais je ne veux pas me reposer : je sens que rien ne démarrera si je n’aide pas le bébé. Alors j’alterne les positions : je me mets accroupie, puis je me relève, et j’arrive à déclencher ainsi quelques contractions un peu plus fortes…je les laisse agir le plus profondément possible…je n’ai pas mal, tout va bien. Au bout d’un moment je m’assois sur une chaise, appuyée en avant contre le dossier pour me reposer un peu, et là un flot chaud coule, coule à nouveau… je pense que je viens d’achever de rompre la poche. Le liquide est toujours vert très clair, pas d’aggravation, je respire un peu plus. Mon compagnon est rentré depuis un petit moment, on fait manger notre fils puis il va se coucher, toujours fiévreux…de toute la matinée il ne m’a pas vraiment réclamée, je pense qu’il sent les choses… nous mangeons à notre tour. Je n’ai plus de contractions. Je commence à m’inquiéter…j’ai peur qu’une trop longue rupture de la poche ne conduise à un transfert si rien ne démarre…et j’ai surtout peur que mon bébé soit en souffrance au bout d’un moment… il faut que les choses s’activent. Mais comment ?

Je retourne dans la chambre, et je me sens vraiment fatiguée… alors j’entasse quelques coussins, je mets mes bras et ma tête dessus, et instinctivement je garde le bassin en l’air, genoux sur le lit, jambes écartées. Au bout de quelques minutes, une contraction arrive. Je la laisse passer, doucement, en respirant. Je me relève, puis reprends cette position. Au bout d’un moment, une autre se déclenche. Elles sont légèrement plus fortes que celles du matin. Je continue ainsi pendant quelques temps, et je sens que j’arrive à me reposer dans cette position, et que les choses semblent se lancer…je regarde l’heure pour chronométrer les contractions que je parviens à déclencher : toutes les 7-8 minutes. Bon. Mon fils se lève de sa sieste, il doit être 15h30… je me lève à mon tour, préviens mon compagnon qu’il va falloir l’emmener chez les amis qui se sont proposés de le garder ; je sens qu’il me faut être vraiment livre d’esprit pour que le travail se lance vraiment. Je rassemble quelques affaires pour mon fils ; j’ai très peu de contractions mais elles sont assez fortes. C’est le moment du départ… mon fils part, je lui dis « à tout à l’heure » en sentant l’émotion me gagner, il se retourne et me lance un regard angoissé…la porte refermée, je fonds en larmes, j’ai l’impression de l’abandonner, je n’arrive plus à me retenir de pleurer, c’est dur…au bout de quelques minutes j’arrive à me calmer, et je pense à cet enfant encore en moi, il a besoin de toute mon énergie, c’est à lui que je dois penser maintenant. J’appelle C., elle pense arriver vers 16h00. En attendant, je retourne prendre ma position sur le lit, mais je sens que ça marche moins bien maintenant, il faut que je recommence à bouger. Je marche donc dans l’appartement, dans le couloir, la chambre de mon fils, et les contractions reprennent. Mon compagnon rentre, il va lire de son côté, et me laisse seule à ma demande. C. arrive en effet vers 16h00, apportant sa joie et sa confiance dans l’appartement, ça me fait tellement de bien… elle écoute les bruits du cœur, parfaits. Je lui dis que les contractions ne sont toujours pas régulières bien que plus intenses. Au fond de moi, je suis persuadée que les choses n’ont pas vraiment bougé, et lorsqu’elle m’examine j’ai peur de ce qu’elle va m’annoncer. Bon, 5 centimètres. Je n’en reviens pas ! avec mes contractions erratiques et tout à fait gérables, j’ai fait la moitié du chemin ? wow ! mais mon enthousiasme se calme vite au souvenir de mon premier accouchement. Je sais que le plus dur reste à venir. A ma demande, C. et mon compagnon me laissent complètement seule et vont lire dans le séjour. Moi je reste du côté des chambres et je reprends mes déambulations, et me concentrant et en essayant de laisser les contractions ouvrir, faire leur chemin, loin, tout en bas, très loin… j’imagine la tête du bébé sur le col, le col qui s’ouvre un peu plus à chaque fois… ça commence à tirer un peu plus fort… de temps en temps je retourne dans le séjour, pour faire chauffer le petit coussin de noyau de cerise que j’applique contre mon ventre, mais la lumière est trop forte et parler me fait mal. J’ai envie d’une boisson chaude. Mon compagnon a fait du thé, je viens en prendre une tasse, et tout à coup une contraction un peu plus forte que les autres me fait le prendre dans mes bras pour qu’elle passe mieux…j’y suis tellement bien que je voudrais y rester…alors je lui demande de venir avec moi dans la chambre, de me soutenir un peu, juste quelques minutes… il accepte.

Naissance
Nous sommes tous les deux dans la chambre, debout, face à face…quand vient la contraction, je m’accroche à son cou, ses épaules, et je commence à vocaliser, le plus bas possible dans les sons graves, sans me retenir. Les contractions se mettent soudainement à augmenter en intensité, et en fréquence ; je n’ai pas le courage de regarder l’heure mais il me semble que d’un coup elles se mettent à arriver toutes les 2, 3 minutes. Elles arrivent brutalement, j’ai juste le temps de m’agripper au cou de mon compagnon et je me lance dans l’accompagnement de la douleur qui monte, monte, s’intensifie si fort, par la voix et soudain le silence, l’arrêt brutal de la douleur, de la contraction…
Au loin j’entends C. qui est au téléphone et je pense « mais qu’est-ce qu’elle fait, pourquoi elle ne vient pas ! » je me demande si elle se rend compte que j’ai besoin d’elle, je ne sais pas si là je peux y arriver…elle arrive, très joyeuse et lance « bon eh bien c’est parfait, je crois que je vais aller préparer mes petites affaires ! » j’ignore ce qu’elle fait là-bas dans le séjour, je garde les yeux fermés tout au long du travail, contre mon compagnon, et une contraction après l’autre, toujours dans cette violence qui monte brutalement, s’arrête brutalement aussi…mon dieu que c’est dur, que ça fait mal….C. arrive dans la chambre et m’aide à accompagner la douleur en posant une main sur mon bas-ventre, et en guidant ma voix vers les graves…elle m’encourage, me soutient tandis que mon compagnon m’aide physiquement… plus les contractions passent et plus j’éprouve le besoin de descendre avec elles, dans une position presque accroupie…je me relève à chaque fois, je respire, je me repose… la douleur devient de plus en plus forte, presque insupportable…mais à combien suis-je maintenant, à combien ? 6, 7 ? j’ai envie de le demander à C. mais je me ravise, je ne veux pas savoir si je suis encore loin du compte, j’ai peur que cela me décourage, me bloque, je prends le parti de me jeter toute entière dans la bataille…soudain, entre les contractions, j’éprouve une forte envie de rire et je me mets à sourire. Mon compagnon me dit que déjà pour le premier c’était comme ça et me murmure « c’est les endorphines ! », ça me donne encore plus envie de rire, et en effet je me sens complètement partie, comme dans un autre monde…les contractions s’enchaînent toujours aussi rapidement, je descends toujours plus bas avec chacune d’entre elles, et C. demande à mon compagnon de l’aider à préparer le lit et le sol, elle craint dit-elle de finir par retrouver le bébé dans ma culotte ! l’image me fait vraiment rire mais en même temps je ne comprends pas, je ne suis quand même pas si proche d’accoucher si ? ça ne fait que deux heures qu’ils sont avec moi, ça ne peut pas aller si vite… ils préparent tout, recouvrent le lit et le sol, installent les draps… quand les contractions me prennent, ils reviennent autour de moi et m’accompagnent… ça devient vraiment très dur, je ne peux m’empêcher de crier combien cela fait mal, combien je n’en peux plus… à un moment je dis même à C. « je veux une césarienne » en plaisantant, je me souviens de son regard un peu inquiet « mais pourquoi donc ? » et moi, « non non c’est une blague » Ok peut-être pas la meilleure de l’année mais bon… je pense aux femmes qui prennent la péridurale à ce stade et je n’arrive pas à imaginer qu’on vienne me piquer le dos à ce moment, et même si ça fait tellement mal, je n’arrive pas à concevoir qu’on vienne m’enlever brutalement cette douleur… je pense aussi à celles qui espèrent le soulagement et pour qui ça ne marche pas, combien je comprends comme ça a dû être atroce de vivre cela sans y être préparée…
C. me demande si je veux un bain, je refuse, je n’ai vraiment pas le courage de bouger, de me plonger dans un autre univers. Elle me demande de venir sur le lit, je suis un peu effrayée à l’idée que c’est peut-être bientôt la fin, j’ai toujours du mal à penser qu’un bébé va sortir de mon corps, et j’ai peur d’avoir mal, très mal même si je l’ai déjà fait une fois.
Mon compagnon s’assoit à la tête du lit et je me mets à genoux face à lui ; quand la contraction me prend je me penche et l’enlace, au sommet de la douleur je dois lui meurtrir violemment les épaules mais il supporte, sans rien dire. C. est derrière moi, je ne la reverrai plus jusqu’à la naissance. A chaque contraction elle guide mon souffle et ma voix vers le bas de mon ventre, et d’être ainsi doublement entourée m’aide à aller à chaque fois un peu plus loin…mais c’est tellement dur ! je n’en peux plus, je crie, je hurle dans les contractions, je hurle que ça fait si mal, et de le crier ainsi m’aide à verbaliser la douleur, à l’expulser hors de moi…je n’en peux plus, je ne sais pas combien de temps je vais encore pouvoir tenir. A un moment, je pense « bon ok allez ça suffit pour aujourd’hui, on reprendra demain », et je souris intérieurement : je me souviens que cela annonce sans doute que la fin est proche.

Une contraction encore plus violente me saisit, je me penche et soudain je sens une force en moi qui s’amorce, je crie que ça commence à pousser…repos…je murmure à C. « je crois que le bébé a commencé à s’engager … » nouvelle contraction, plus intense encore, et véritablement ça pousse, ça descend en moi, je sens les os de mon bassin qui s’écartent et qui gémissent sous la pression…mon dieu que cela est puissant, et en même temps tellement douloureux…C. me murmure de laisser faire le bébé, qu’il sait ce qu’il a à faire, mais je ne veux pas, ça fait trop mal…à chaque nouvelle contraction je pense ne plus pouvoir tenir et cependant je tiens toujours, je le sens vraiment dans le bassin qui pèse si fort…furtivement la crainte me vient que le bébé reste coincé, j’ai tellement l’impression qu’il n’a plus de place ! alors je décide de l’accompagner, et à la contraction suivante je pousse avec lui, tellement fort ! la pression est si intense en moi que je ne pense plus qu’à m’en débarrasser et je pousse, pousse encore à chaque contraction. Je suis déconcertée, pour mon premier accouchement la poussée avait été un moment fort, sans douleur mais là la pression est continue, pesante, très forte, et les contractions très intenses. A chaque poussée, le bébé appuie sur le rectum … je déteste cette sensation, c’est horrible, mais je sais que je n’ai pas le choix… le bébé fait le yo-yo et j’ai le sentiment que ça dure des heures…Soudain « ça » pousse à nouveau tout seul, je ne peux plus respirer, plus parler ni crier, j’ai l’impression que ça explose quelque part au fond de moi, pendant 2, 3 contractions très rapprochées où je ne maîtrise plus rien du tout. J’entends C. d’un coup me dire « ça y est, ça y est  la tête est là, mets ta main ! » Alors, toujours à 4 pattes, je tends lentement un bras et je pose ma main sur la vulve…je sens la peau humide et froissée de la tête sous mes doigts….j’ai toujours les yeux fermés, et là je me concentre, j’oublie tout. Il faut que je fasse passer cette tête, plus rien d’autre n’a d’importance ni de sens. Je pousse un peu, doucement, et je sens les tissus qui tirent, fort, fort…je m’arrête, je respire lentement, j’ai toujours la main sur la tête de mon bébé…je pousse à nouveau doucement, et je sens les tissus qui bombent, qui s’ouvrent encore un peu plus grand…la sensation d’étirement, de brûlure, est très forte, à la limite du supportable, mais je ne dis plus rien. Je murmure cependant à un moment « ça ne passera jamais », et C. me dit « mais si, ça va passer, et sans épisiotomie tu vas voir ! » J’ai un moment intense de doute, de panique, je lui dis presque en pleurant qu’elle a promis de ne pas couper… elle rit et me dit « mais voyons je n’en fais jamais, tu le sais parfaitement ! allez, tu vas y arriver ! » Je me reconcentre sur cette sensation de la tête, toujours à l’intérieur… je pousse à nouveau lentement. J’entends C. qui me dit que c’est parfait, que je progresse millimètre par millimètre… je repense soudain au récit que Blandine avait fait de cette femme qui avec un périnée court avait fait sortir son bébé ainsi, progressivement, et je comprends que je peux y arriver aussi… je pousse encore, tout doux mais un peu plus fort quand même, la sensation de brûlure s’intensifie, et je sens que je m’ouvre encore, tout doucement, mais de plus en plus… nouvelle pause, et je reprends, et soudain je décide de pousser FORT et je sens la tête qui passe d’un coup et cette sensation si forte, si intense !! le bébé est encore à l’intérieur de moi et sa tête est sortie !! C. me dit qu’il y a encore les épaules, et que là il faut que j’aide le bébé, que je le pousse, que j’achève le travail, et je me souviens que mon bébé est gros, que les épaules peuvent être coincées, alors je pousse fort, fort et encore plus fort et soudain il glisse en dehors de moi dans un bruit tout mouillé et une sensation de chaleur et cette odeur ! je glisse sur le côté en pleurant, et j’attends qu’il crie, je pense « respire, respire ! » et soudain je l’entends ! C. ne l’a pas pris, elle l’a juste déposé sur le lit, je le vois tout gris dans la pénombre et je regarde s’il est entier… je suis sur le dos, je ne peux plus bouger, je suis si épuisée… C. le pose sur moi et je ris et je pleure en même temps, il me regarde et pour la deuxième fois de ma vie je fonds d’amour devant ce petit être qui vient de moi. Il est 20h05.

Reste le placenta, qui mettra 45 minutes avant de sortir, intact et entier. C. me dit que le bébé a un cordon un peu court et que j’ai eu de la chance qu’il ne reste pas en siège… moi je sais que j’ai eu de la chance sur tellement de points pendant cette aventure, dont celle de cette naissance…
C. examine mon périnée : il est intact, pas même une éraillure. Elle me dit que c’est ce qu’elle me souhaitait de mieux, que je n’aurais pu rêver mieux et que l’expulsion a été d’une douceur infinie.
Plus tard, on pésera W. : 4,400kg.

Je me demanderai par la suite souvent ce qui se serait passé à la maternité : rupture de la poche à 6h00, début du vrai travail à 16h00… m’aurait-on laissé si longtemps sans intervention avec un liquide teinté ? aurais-je pu le faire naître à 4 pattes, en contrôlant moi-même la poussée et l’expulsion ? sans forceps, sans épisiotomie ? aurait-on attendu 45 minutes pour le placenta ?quel accueil pour mon enfant, avec un poids de 4,400 kg ?

Je suis heureuse de ne jamais pouvoir le savoir. C’est le cadeau que je voulais te faire, W, mon amour, né à la maison le 20 avril dans une douceur et un respect infini. Bienvenue.

J’ajoute enfin le commentaire qu’une amie sage-femme (Nourinette) m’avait fait à l’époque où j’ai publié ce récit :

« La même chose à la mat’ ? on t’aura certainement « aidé » un peu pour déclencher avec un liquide teinté déjà…. donc synto, donc monito en continu….. pas forcément possibilité de bouger autant que tu le voulais, pas forcément de 4 pattes….. pour l’expulsion, ça aurait été selon la position : 4 pattes ça l’aurait fait, mais bon…. sachant qu’il est gros, on t’aurais certainement remise à plat dos (ce qui est très logique non ? pfff:  pfff:  pfff: ), il aurait p’tet coincé d’où forceps oui, et de toute façon, ze pense que tu aurais eu du mal à échapper à l’épisio….

L’accueil de W.? Aspiré pour le liquide teinté, et surveillance des glycémies (dextro au talon) pendant au moins 48h…..

T’étais définitivement bien chez toi hein« 

Aperçu sur le blog de Leiloona récemment, j’avais été intriguée par soncommentaire qui semblait annoncer un livre qui sortait enfin des sentiers battus sur la façon d’envisager la grossesse, l’accouchement, et l’approche globale de la femme enceinte. C’est très amicalement que Leil a accepté de me prêter l’ouvrage, et je la remercie très chaleureusement.

Ce livre mêle trois voix, celle de la femme enceinte qui tient une sorte de journal, celle de sa mère qui l’accompagne par des conseils spécifiques et dialogue avec elle, et celle d’une sage-femme, Paule Brung, qui m’a parfois rappelée l’approche du corps que peut avoir Bernadette de Gasquet dans ses ouvrages. A elles trois, elles proposent une approche du corps, de la grossesse, non sur le mode de la défiance comme il est commun de le lire ailleurs, mais sur le mode de la confiance et de la réconciliation. A de nombreuses reprises, la lectrice est invitée à se reconnecter à son propre corps, à l’écouter, l’entendre, l’accompagner, ne plus en faire un ennemi – se rappeler qu’elle n’est pas qu’un cerveau ou une pensée, mais aussi un ensemble de muscles, de nerfs, et de souvenirs portés par ce corps.

L’ensemble est fort intéressant, et se laisse lire comme un roman agréable. Il est si rare de rencontrer une telle approche que celle-ci mérite indéniablement d’être connue, conseillée. Néanmoins, il m’a semblé que cet ouvrage, tel qu’il est conçu, ne pourrait convaincre et intéresser que les lectrices déjà averties ; je conseillerais par exemple au préalable la lecture des ouvrages de M. Odent, comme Pour une naissance sans violence ; ou bien l’excellent ouvrage d’isabelle Brabant, Une naissance Heureuse. Car celle qui ouvrirait l’ouvrage sans une certaine prédisposition pour ce type de discours risquerait à mon sens d’être terriblement sceptique (quoi, avoir mal gratuitement alors qu’il existe la péridurale ? ne pas trouver que l’échographie est un moment merveilleux ? ne pas vouloir bénéficier des plus hautes technologies médicales actuelles ? ne pas s’en remettre complètement aux médecins dont c’est le métier, et qui savent, c’est évident, bien mieux que nous comment tout cela doit se passer…). De fait, l’objectif ne semble pas réellement être celui de convaincre la lectrice, mais peut-être juste de lui ouvrir une porte de réflexion. Mon impression demeure donc quelque peu mitigée, même si j’ai pris beaucoup de plaisir et d’intérêt à lire l’ouvrage : sans doute ne bouscule-t-il pas assez les idées reçues à mon goût…

J’ai eu connaissance de ce recueil par la jolie critique qu’en fait Eloah sur son blog « Bulles et Bidouilles« , et qu’elle a très amicalement accepté de me prêter. Il me semblait en avoir entendu parler, mais pas dans les lieux habituels que je fréquente, consacrés à la naissance et à l’accouchement en général, ce qui, réflexion faite, aurait dû me faire comprendre que ce que j’allais trouver dans ce livre n’emporterait pas forcément mon adhésion.

Il s’agit d’un recueil collectif, qui se présente comme les récits de naissances de 8 femmes écrivains ; mais il me semble plutôt qu’il s’agit non du récit d’expériences de la naissance, mais plutôt en général de l’après-naissance ; non de la naissance elle-même mais de ce qu’elle a pu engendrer, transformer, voire briser. Il faut reconnaître à ces huit histoires le talent de l’écriture, que je ne remets aucunement en doute, et que je salue même : c’est bien écrit, et chacune touche de sa plume un univers bien particulier. Mais je n’y ai pas trouvé ce à quoi je m’attendais, et plusieurs fois je n’ai pu m’empêcher d’être peinée par les expériences que je lisais, qui sont si loin pour moi du vécu respectueux de la naissance… et pour autant, je n’ai pas été touchée, ces histoires ont glissé sur moi sans m’entailler, sans m’émouvoir : je ne m’y reconnais pas et rien de nouveau ne m’a été apporté comme regard sur ces moments si précieux – et pourtant des récits de naissance, j’en ai lu, écrits par des anonymes, qui ont réussi à me faire pleurer, d’émotion ou de colère…

J’excepterai cependant l’un des récits, le tout premier, celui de Marie Darrieussecq, « encore là ». Placé en ouverture du recueil, il n’en donne cependant – malheureusement – pas le ton général ; mais sa puissance, la force de son écriture, dans ce qu’elle a justement de fictionnel, savent emporter le lecteur et lui faire toucher du bout des doigts ce que l’on peut nommer la détresse maternelle. D’un ton aussi froid que le bloc opératoire dans lequel elle se trouve allongée, anesthésiée pour la mise au monde de son enfant, la narratrice entame le bref récit d’une descente aux enfers, mais comme d’en-dehors, et la réelle force de ce récit tient justement à la communication d’une émotion réelle, intense et palpable, sans jamais que ne soient prononcés les mots pathétiques et sirupeux auxquels il serait convenable de se soumettre. Aucun des autres récits n’atteint à cette puissance, et c’est bien là mon regret, et somme toute ma déception.

Mais je remercie vivement encore Eloah pour le prêt de ce petit opus, dévoré en moins d’une heure.

Ce livre a sans aucun doute fait du bruit à sa parution, clameur de la reprise d’une guerre ouverte entre partisans du maternage et partisans de la femme émancipée – pour résumer tout cela aussi brièvement et d’une façon aussi caricaturale que celle dont l’auteur expose sa pensée dans cet essai qui se veut profondément féministe.

L’intention de l’essayiste est on ne peut plus louable, et je dois lui reconnaître le mérite de poser certaines questions, à défaut d’y apporter des réponses, et tout ouvrage se donnant pour ambition de réaffirmer la nécessité pour les femmes d’être libres et de se battre pour cette liberté doit à mon sens être applaudi. En ce sens, je ne condamnerai pas ce texte dans son ensemble, ni pour le principe fort bon dont il procède. Cependant, il me paraît évident qu’Elisabeth Badinter n’a sur certains points certainement pas approfondi son sujet, ne s’y est pas frottée pour ainsi dire concrètement, et la pensée s’enlise hélas dans une sorte de magma confusionnel, où tout est mêlé, mélangé, faute d’avoir sans doute effectivement interrogé certaines des femmes dont il est question.

Il est en effet indéniable que l’inégalité entre les hommes et les femmes persiste, à bien des égards, et que les femmes sont les grandes perdantes souvent après leur choix de la maternité – ce sont elles qui prennent les temps partiels, qui s’occupent des enfants au quotidien, qui assument majoritairement les tâches ménagères. Très juste aussi ce passage fort pertinent sur le non-désir d’enfant, sur le choix réfléchi de ne pas en avoir, et l’incompréhension crasse que ces femmes doivent subir, questionnées qu’elles sont en permanence sur leur choix, soupçonnées de n’être pas tout à fait normales, d’être égoïstes ou carriéristes… Elisabeth Badinter touche juste en bien des endroits et remet la question de la maternité dans une place qu’elle avait sans doute un peu perdue depuis plusieurs années.

Elle voit également un grand recul par rapport aux avancées féministes des années 60-70, dans le retour actuel des femmes à la maison, qui dit-elle, subissent l’influence idéologique d’une société qui les pousse à penser qu’elles doivent tout d’abord à leur enfant avant qu’à elles-mêmes. Les hommes, ajoute-t-elle, ne risquent pas de les en dissuader car finalement cela les conforte dans leur rôle traditionnel : travailler, ne pas s’occuper prioritairement de la maisonnée. Cela n’est pas faux, il est vrai qu’il est plus difficile pour une femme de retourner travailler après une naissance dans l’état actuel des choses – difficultés à trouver un mode de garde, salaire parfois dérisoire face au coût des gardes d’enfant (certaines perdent de l’argent en retournant travailler…), travail parfois peu épanouissant, l’éducation des enfants pendant quelques temps à la maison apparaît ainsi comme un choix par défaut. Mais c’est à partir de cette optique, me semble-t-il, que l’auteur commence à tout mélanger. D’abord, certaines femmes font réellement le choix de s’occuper de leurs enfants, et pas simplement par défaut : le choix positif est tout simplement évacué de cet essai. Ensuite, parlant du recul en matière d’émancipation de la femme, E. Badinter enchaîne pêle-mêle les questions des couches lavables, de l’accouchement (accoucher à domicile est ainsi présenté comme un archaïsme idéologiquement motivé par un retour à la nature), de l’allaitement (un procès de la Leche League est mené tambour battant pendant plusieurs pages), du maternage proximal (cododo, portage, peau à peau…), du congé parental ; et un final incongru faisant l’éloge à peine masqué de ces femmes du XVIIIème siècle qui n’allaitaient ni n’élevaient leurs enfants, mais faisaient la grasse matinée et avaient des préoccupations exclusivement intellectuelles, termine étrangement ce grand chapitre consacré à l’asservissement contemporain des femmes.

Or il me semble que l’auteur n’a strictement rien compris aux motivations qui peuvent pousser les femmes à accoucher chez elles. Non, il n’est pas question pour celles-là même qui le font de retourner à un état originel et naturel prétendu meilleur, et non, il n’y a pas toujours d’idéologie qui sous-tend cette décision (je ne nie pas que ce puisse être le cas cependant – encore faudrait-il des bases d’études solides…) Mais a-t-elle été interroger ces femmes, d’ailleurs, s’y est-elle réellement intéressée ? Non, il lui suffit que cette pratique perdure, et de constater que davantage de femmes encore y ont recours dans d’autres pays, pour en tirer des conclusions radicales. Je le dis, et je le répète : l’accouchement à domicile n’a rien à voir avec la nature, n’a rien à voir avec l’écologie, n’a rien même à voir avec le maternage. Il s’agit d’une question de respect des femmes, justement, et si E. Badinter s’y était réellement intéressée, elle aurait compris qu’au contraire, cette démarche est féministe. Parce qu’il y est question de liberté, de respect de l’intégrité, du corps, du psychisme, des désirs…

Quant à l’allaitement, là encore il semble que le but soit exclusivement de régler son compte à la Leche League – dont il convient effectivement de discuter – et de fustiger dans cette pratique l’asservissement de la femme à la nature et à l’enfant. Et E. Badinter de se féliciter, face aux chiffres les plus bas d’Europe, que les Françaises résistent si bien à l’idéologie… d’ailleurs, la preuve, dit-elle, que les femmes n’aiment pas cela : elles arrêtent aussitôt qu’elles retravaillent, soit en moyenne au bout de quelques semaines. Là encore, a-t-elle parlé avec ces femmes ? Sait-elle combien pleurent de devoir arrêter d’allaiter, de sevrer contre leur gré, de voir hurler leur bébé refusant le biberon alors qu’elles n’ont pas le choix ? Bien sûr que le choix doit rester entièrement libre, et qu’il ne faut pas forcer à allaiter… mais celles qui le veulent vraiment, le peuvent-elles vraiment, sans justement devoir prendre un congé parental, sans devoir recourir au tire-lait (présenté comme une infamie de plus) ? Parlant justement d’idéologie, il est curieux de voir comment dans ce passage sur l’allaitement revient encore et toujours cette référence aux pays en voie de développement… L’allaitement, c’est bon pour eux, mais pour nous, pays civilisé – pardon, développé, nous avons cette chance d’avoir le biberon et un lait » toujours plus proche du lait maternel », alors à quoi bon s’asservir et s’animaliser…

On l’aura compris, cet ouvrage développe à mon sens une réflexion intéressante, mais malheureusement associée aux pires clichés et amalgames en tous genres. Il est vrai que, parcourant l’ensemble et à trop vouloir en dire, on peut avoir l’impression que le statut de la femme est bien menacé, que la maternité fait l’objet de pressions diverses, et que les femmes peuvent être influencées durablement. On a tendance souvent à penser que la maternité est un bloc, en parcourant certaines forums de discussions consacrés à cette question : accouchement naturel, couches lavables, allaitement prolongé, congé parental, maternage proximal (et ses dérives, le nouvel enfant-roi…)… Dans les faits, les femmes qui le tentent se rendent bien vite compte de ce qui est essentiel, et de ce qui ne l’est pas, de ce qui leur correspond, et de ce qui n’est pas pour elles. Elles lisent, s’informent, font leur miel des diverses opinions…  et évoluent.

Il y a bien un conflit entre la femme et la mère, mais peut-être ne se situe-t-il pas toujours là où on l’attend. La difficulté maternelle doit être entendue, les femmes sont encore trop isolées et sans soutien véritable du choix de leur maternité et du bouleversement (Tremblements de mère…) qu’une naissance peut entraîner. L’isolement des femmes et des couples, voilà un des problèmes véritables…

On peut être mère et être femme, sans conflit – il est dommage que l’ouvrage évacue, aussi, cet aspect.